Une proposition de Cécile Calé et Claude Darras, Le Cercle Spiridion,
JOHN M. ARMLEDER
« Décor »
« Comment va Côme, vos délices et les miennes ? Comment va la villa si riche d’agréments ? Et son lac qui s’y soumet et en supporte les servitudes ? » Lettre de Pline le Jeune citée dans « Empire et décor » P. Caye 1999.
« Il voyagea. Il connut la mélancolie des paquebots » Gustave Flaubert. L’éducation sentimentale.
Exposition du Samedi 17 Novembre 2012 au Samedi 26 Janvier 2013. Château de Vert-Mont, avenue Tuck-Stell 92500 Rueil – Malmaison. Ouverture les week-ends de 11h. à 19h.
Enfance et histoire.
-Jeu:
L’enfant John a ménagé un discret passage dans la haie. Sans doute qu’avec son frère l’ont-ils même piégé. Ensemble ils s’aventurent dans la propriété voisine de celle de la famille, face au grand lac. Une cabane les accueille. Plus tard l’enfant entendra le nom, parfois évoqué, d’ Edward Tuck venu s’installer à Genève où un ophtalmologiste renommé surveillait la vision du vieil homme. Il avait occupé, à la fin des années 30 cette propriété, devenue celle des voisins immédiats.
-Répétition:
L’enfant John rentre à la maison, le jour commence à décliner. Sage, il est descendu
de son vélo blanc et traverse le passage clouté. La Citroën DS noire s’arrête prestement; un altier gendarme interpelle l’enfant, sort un carnet à souches, menace, insiste. L’enfant ne comprend pas la faute commise, se demande un peu ce que ce personnage aux insignes tricolores fait à Genève. L’acteur Noël Noël qui répétait avec sérieux une scène à venir d’un feuilleton télévisé finit par reprendre le volant de la DS, ayant laissé à l’enfant une convocation.
Décor.
– Le décor de la vie.
Dans les années 10 du siècle précédent le couple Tuck-Steel aménage le décor de leur existence, l’extension, très ouverte sur le parc, qu’il ajoute au Château de Vert-Mont en est l’attraction évidente. L’ensemble, sa distribution sont maintenant un document majeur de l’Histoire du Goût, de l’éclectisme du moment.
On se dira que les excursions de l’enfant en étaient la promesse, nous attendions John Armleder depuis que le Château de Vert-Mont accueille ponctuellement l’Art Contemporain (2010). Cette figure majeure depuis quatre décennies de la scène artistique internationale devait y faire la prestation liminaire; des infortunes de santé avaient retardé l’initiative. Le voici. Le sentiment est naturellement que les célèbres artefacts de John Armleder, les Furniture-Sculptures, les Pour Paintings, ses Sapins de Noël, etc. trouvent leurs aises et commodités en cette demeure ou que la conversation avec elle s’anime.
– Méthode.
John Armleder est venu, une fois, deux fois –en excursion– à Vert-Mont. Finissant par convenir qu’il s’agissait de ne rien faire, entendez de faire peu ou très peu, que tout était déjà là, à disposition, regardez. Ainsi tout pouvait commencer. Le vide d’où viendra quelques semaines plus tard, à Genève cette fois, la perspective des tapis pour Vert-Mont, de leur édition opportune à cette fin, ne pouvait être l’habile motif critique, l’alternative identifiée à la Surcharge. Signé « Décor », ellipse souhaitée par John Armleder, le vide qui dégagerait tous les regards portés, tous les déplacements devait être constituant tout ensemble vertueux et dissolvant.
– Décor.
C’est que les vocabulaires qui voudraient bien saisir l’attitude ou la versatilité des attitudes de l’artiste ( la distance, le dandysme…) maintiennent l’idée que l’Art soit encore une Catharsis. L’idée et la doxa de l’-installation– sont l’autre nom de ce désir. L’installation incorpore le spectateur dans ses flux d’énergies fluentes et aveugles, il ne saura évaluer que sa participation.
« Décor » suppose une autre tenue. Tenir ensemble l’ornement, le vide, la lumière d’hiver, les motifs d’un tapis, quelques coulures; tenir ensemble l’existant et sa reconfiguration aussi modeste soit-elle. John Armleder a toujours dit qu’il n’existait pas, pour lui, de bon goût ni de mauvais goût. Leurs objets apparaissent, s’éloignent ou sont réévalués selon une Economie. L’économie de John Armleder est une ascèse; il use avec parcimonie des choses, des emprunts, des formes, des présentations. La difficile qualification de cet usage sous ses apparences familières est sa singularité. « Celui-là est grand qui se sert de la vaisselle de terre comme si c’était de l’argenterie » écrivait Sénèque, mais en poursuivant: « Celui-là n’est pas moins grand qui se sert d’argenterie comme si c’était de la vaisselle de terre ».*
Cécile Calé & Claude Darras, Cercle Spiridion.